2023 ou la laïcité malmenée... Guylain CHEVRIER

Tribune publiée dans Atlantico le 28/12/2023

2023 ou la laïcité malmenée

Plus que par le passé, l’année écoulée témoigne de la nécessité de ne rien céder sur la laïcité, ce principe républicain vital.

Guylain CHEVRIER, qui nous a fait l'honneur d'être notre conférencier lors de notre conférence annuelle le12 décembre 2023, a publié dans Atlantico le 28 décembre 2023 une tribune dans laquelle il fait le point sur les évènements qui ont marqués l'actualité de la laïcité au cours de l'année 2023.  

L’école laïque attaquée aux prises avec le « en même temps »

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L’abaya dans l’école a été le symptôme du torchon qui brûle entre de nombreux jeunes Français de confession musulmane et la République. Un feuilleton de près d’un an, pour savoir si ce vêtement devait être considéré comme religieux ou non. Un phénomène qui a commencé sur fond de contestation de l’interdiction du port du voile dans l’école.

Dès qu’il a été question d’interdire ce vêtement comme religieux, les mêmes qui le portent parlant d’une simple mode, y ont opposé bizarrement, l’accusation d’islamophobie. Derrière, sans surprise, c’était l’influence d’un entrisme islamiste sévissant sur les réseaux sociaux, encourageant de défier l’école.

On se rappelle que le Conseil français du culte musulman déniait qu’il s’agisse, contre l’évidence, d’un signe manifestant une appartenance religieuse. On sait depuis, par différents sondages, qu’une large majorité de femmes portant l’abaya le font pour raison religieuse.

Un sondage Ifop pour Ecran de veille de décembre 2022 indiquait que "Plus d’un enseignant sur deux affirme s’être déjà autocensuré pour éviter des contestations au nom de convictions religieuses ou philosophiques avec les élèves. ». Selon un autre sondage Ifop pour le mensuel Ecran de veille de début mars 2023, un enseignant sur cinq (21 %) a, dans sa carrière, été confronté à une menace ou agression liée à des tensions de nature religieuse ou identitaire.

 

Avril 2023, le ministre de l'Education nationale, Pap Ndiaye, décide de redéfinir la composition et les missions du Conseil des sages de la laïcité pour en élargir la sensibilité… Alain Policar y fait son entrée qui, dans un article intitulé "La critique de l’antiracisme devenue folle", d’abord publié sur le site AOC puis repris par celui de l’Institut de recherches du syndicat FSU, explique que la nouvelle génération "fait le constat que la politique d’indifférence à la couleur a échoué. Il faut désormais mettre en avant les identités dites raciales parce que la race a des effets discriminants sur les individus à qui on attribue une race non blanche ('les racisés')".

Juin 2023, à Nice, certains élèves d'écoles primaires se sont réunis pour prier, où tiennent à observer des minutes de silence en l'honneur du prophète pendant la récréation, ce que dénonce le maire de la ville, Christian Estrosi.

La période est au flottement, alors que le ministre de l’Education Pap Ndiaye, présenté à l’origine de sa nomination comme révolutionnaire, semble surtout avoir été inspiré par le courant différentialiste à la sauce américaine. Gabriel Attal qui lui succède, pour sa première conférence de presse fin août 2023, creuse la différence dans une sorte de volte-face, en déclarant que "l'abaya n'a pas sa place dans nos écoles". Elle sera ainsi interdite, considérée comme signe religieux tombant sous le coup de la loi du 15 mars 2004, qui en interdit le port. Il était temps ! Encore une fois, les vicissitudes du politique avec son « en même temps », auront fait auprès de ces jeunes qui ont tant besoin qu’on leur adresse un message républicain lumineux et solide, bien des dégâts.

Le lundi 22 mai, le plat principal annoncé à la cantine du collège Emile Combes de Bordeaux, était un « sauté de bœuf » portant la mention « halal ». Ce qui a fait s’indigner certains parents d’élèves. Le département de la Gironde s’en est défendu, pour dire n’avoir aucunement voulu imposer à tous un menu halal, déplorant « une erreur de communication du logiciel Pronote », alors qu’un autre menu a été mis à la disposition des élèves, « des aiguillettes de poulet ». Une situation qui a surtout mis en évidence la distribution de menus halals dans certaines écoles, ceci, alors qu’il n’en existe aucune obligation. Que retenir ici des dires du ministre de l’Education nationale, selon lequel « L’école, c’est le lieu et le temple de la laïcité » ? Son sens est brouillé, celui d’une éducation à la citoyenneté, qui est censée rassembler autour de l’intérêt général, contrairement à la promotion de ce qui isole au regard de ce qui unit.

Le sport, sous la pression du communautarisme religieux

En juin, c’est un autre sujet qui s’impose dans l’actualité. Des hijabeuses, joueuses de foot voilées, entendent faire tomber l'article du règlement de la Fédération Française de Football qui interdit « tout port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale ». Il n'est pas un hasard que l'on attaque ici le sport le plus pratiqué et de loin. Elles ont porté l’affaire devant le conseil d’Etat, mais celui-ci n’ira pas dans leur sens. Rappelons au passage que le voile est un symbole de soumission religieuse à une conception inégalitaire des rapports entre les sexes, alors que l’égalité femmes/hommes est un principe protégé par la norme constitutionnelle (Préambule de la Constitution de la IV République, de 1946, repris par la Ve), dont on ne convoque que peu l’argument. En mars dernier, en plein ramadan, la polémique avait déjà été déclenchée par des joueurs entendant imposer des pauses pendant les matchs en raison de la rupture du jeûne, alors que la Fédération française de football (FFF) avait annoncé qu'il n'y en aurait pas. Cela étant, si lors du vote de la loi visant à « démocratiser le sport en France » (février 2022), on avait adopté l’amendement du Sénat qui visait à imposer la neutralité sur les terrains, nous aurions évité ces polémiques qui fragilisent encore notre contrat social, en laissant prise à l’influence des islamistes.

De la loi contre le séparatisme aux contradictions nourries par l’islam de France

Plus d’un an et demi après la promulgation de la loi contre le séparatisme, on retiendra le discours des Mureaux du président de la République, disant déclarer la guerre au repli communautaire, qui a fait sortir notre pays du déni, en passant de la dénonciation du terrorisme à sa racine, l’islamisme. Mais lorsque l’on met en avant le référé laïcité, introduit par la loi, confirmé par le Conseil d’Etat pour mettre fin à la situation du port du burkini dans des piscines à Grenoble, en s’attaquant à une décision municipale qui y était favorable, si c’est une avancée, elle n’est malheureusement que bien limitée. A Rennes par exemple, l’entrée de piscines à des femmes en burkini n’est en rien empêchée. Il n’y est pas autorisé en tant que tel, mais par le biais d’avoir intégré par décision municipale, une recommandation de l’agence nationale de sécurité sanitaire qui explique que la tenue portée « doit être conçue pour la baignade et exclusivement à l’usage de la baignade », le short a ainsi été autorisé dans les piscines de cette ville et par extension à d’autres tenues. On voit par où le bât blesse.

Mesure phare, selon la loi, les associations ou fondations, qui demandent une subvention publique, doivent s'engager à respecter le caractère laïque et les principes de la République (égalité femme-homme, dignité humaine, fraternité...) dans un "contrat d'engagement républicain". En fait, simplement, à ne pas faire de prosélytisme, et pourtant une large partie du secteur est contre, vent debout. C’est la laïcité « ouverte », du droit à la différence qui, bien souvent derrière prévaut, qu’il faudrait sans trembler combattre par un grand débat public. D’autant que l’animation et le travail social participent à la fabrication de notre lien social. 

Lors de la campagne présidentielle de 2022. Dans un éloge flatteur, le président installe la Grande Mosquée de Paris comme « le » lieu de l’islam républicain : « Vous prônez un islam ouvert aux autres religions, pleinement inscrit dans la République » Mais est-ce bien sûr ? Début octobre, la Grande Mosquée de Paris annonçait la création de l’Alliance des mosquées, associations et leaders musulmans en Europe, l’Ammale, avec parmi les signataires présents des leaders salafistes et des Frères musulmans. Ce qui a été confirmé en recevant ensuite la direction du mouvement Musulmans de France, ex-UOIF inspiré des Frères musulmans, à l’origine du lycée Averroès qui vient de perdre le contrat d’association qui le liait à l’Etat.

Mais l’essentiel est toujours dans les détails. Selon Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande mosquée, « aujourd'hui, malheureusement, la question du voile est devenue une question complètement hystérique en France ». Il ajoute : « Et je crois que lorsqu'une femme est croyante, elle doit tenir compte également de la société dans laquelle elle vit (…) Il y a un principe qui existe depuis quatorze siècles en islam, c'est la notion de nécessité, la notion de contrainte. C'est-à-dire que lorsqu'une femme ne peut pas, pour des raisons diverses et variées, porter un foulard, il faut qu'elle l'enlève. Ça ne veut pas dire qu'elle va perdre sa foi et qu'elle n'est plus musulmane ». Si ce propos paraît sage, en réalité, il encourage les musulmans à se conformer à une contrainte imposée par notre société en en appelant à une tradition religieuse. On est très loin de l’invitation à épouser le modèle républicain laïque.

Des sondages chocs qui appellent à une nouvelle prise de conscience

Selon une enquête choc de l’Ifop publiée début décembre, 78% des Français musulmans pensent que la laïcité telle qu'elle est appliquée aujourd'hui par les pouvoirs publics est discriminatoire envers eux. Les deux tiers d’entre eux (65%) se disent favorables au port de couvre-chefs à caractère religieux (ex : voile, kippa…) dans l'enceinte des collèges et lycées publics, contre seulement 18% sur l’ensemble des Français. L’introduction de menus à caractère confessionnel (ex : viande halal, viande casher…) à la cantine (à 83%), 75% souhaitent qu’on autorise désormais « le financement public des lieux de culte et des religieux des principales religions (ex : curés, popes, rabbins, imams…), et sont donc favorables à un retour au Concordat, contre 28 % sur l’ensemble des Français. 76% des musulmans pensent que c’est plutôt la religion qui a raison lorsque la religion et la science s’opposent sur la question de la création du monde, contre 19% en moyenne chez l’ensemble des Français.

Dominique bernard fnlp fr 3Cette année a aussi été marquée, après l’assassinat de Samuel Paty il y a deux ans par un islamiste, par un nouvel attentat effroyable contre un enseignant, Dominique Bernard, poignardé à mort le 13 octobre dernier. Selon la même enquête de l’Ifop, la condamnation du terroriste chez les Français musulmans s’avère moins forte que chez l’ensemble des Français : 16% des musulmans interrogés (contre 5% en moyenne chez l’ensemble des Français) n’expriment pas une condamnation totale de l’assassin, soit parce qu’ils ne le condamnent pas (5%, contre 2%), soit parce qu’ils le condamnent mais admettent partager certaines de ses motivations (11%, contre 3%).  Le pogrom du 7 octobre commis par le Hamas en Israël est aussi révélateur des difficultés qui couvent.

Selon un nouveau sondage Ifop, sur le regard que portent les Français musulmans sur le conflit Israélo-palestinien, 19 % expriment de la sympathie pour le mouvement islamiste du Hamas, contre 3 % en moyenne du côté des Français.

Les autres Français musulmans le condamnant à 25%, ou y sont indifférents, 56%. Leur proportion est significative chez les jeunes musulmans, 24 % auprès des 15-24 ans, et les plus religieux, 28 %.

On voit se clarifier les enjeux. On assiste, d'une part, à un rapprochement d’une partie des Français musulmans des islamistes à travers la cause palestinienne, et d’autre part, une autre partie plus importante, indifférente, qui reste en suspens, en laissant le doute sur le côté où cela pourrait bien basculer. D’où la nécessité absolue de bien distinguer islam et islamisme. On ne doit pas laisser nos concitoyens de confession musulmane dans la confusion ici, en dénonçant sans ambiguïté tout ce qui peut contribuer à l’entretenir. Plutôt que de chercher des solutions du côté d’on ne sait quel islam de France en échec, de « réparer » le lien avec l’Eglise ou d’allumer une bougie à l’Elysée pour hanouka, le président de la République devrait jouer l’atout maitre de la cohérence, du discours et des actes, garantissant d’être bien entendu, non seulement des représentants de l’islam et de nos concitoyens musulmans, mais de l’ensemble de la nation. Condition d’en mobiliser les forces. Il n’est pas certain que ce constat soit immédiatement suivi d’effet, mais les faits sont têtus et les indicateurs de plus en plus intransigeants à imposer de regarder la réalité en face.

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration.- Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages. 

Photo libre de droits : Stocklib ID:2-319987908 - Dominique Bernard : fnlp.fr
 

 

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