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2023 ou la laïcité malmenée... Guylain CHEVRIER

Tribune publiée dans Atlantico le 28/12/2023

2023 ou la laïcité malmenée

Plus que par le passé, l’année écoulée témoigne de la nécessité de ne rien céder sur la laïcité, ce principe républicain vital.

Guylain CHEVRIER, qui nous a fait l'honneur d'être notre conférencier lors de notre conférence annuelle le12 décembre 2023, a publié dans Atlantico le 28 décembre 2023 une tribune dans laquelle il fait le point sur les évènements qui ont marqués l'actualité de la laïcité au cours de l'année 2023.  

L’école laïque attaquée aux prises avec le « en même temps »

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L’abaya dans l’école a été le symptôme du torchon qui brûle entre de nombreux jeunes Français de confession musulmane et la République. Un feuilleton de près d’un an, pour savoir si ce vêtement devait être considéré comme religieux ou non. Un phénomène qui a commencé sur fond de contestation de l’interdiction du port du voile dans l’école.

Dès qu’il a été question d’interdire ce vêtement comme religieux, les mêmes qui le portent parlant d’une simple mode, y ont opposé bizarrement, l’accusation d’islamophobie. Derrière, sans surprise, c’était l’influence d’un entrisme islamiste sévissant sur les réseaux sociaux, encourageant de défier l’école.

On se rappelle que le Conseil français du culte musulman déniait qu’il s’agisse, contre l’évidence, d’un signe manifestant une appartenance religieuse. On sait depuis, par différents sondages, qu’une large majorité de femmes portant l’abaya le font pour raison religieuse.

Un sondage Ifop pour Ecran de veille de décembre 2022 indiquait que "Plus d’un enseignant sur deux affirme s’être déjà autocensuré pour éviter des contestations au nom de convictions religieuses ou philosophiques avec les élèves. ». Selon un autre sondage Ifop pour le mensuel Ecran de veille de début mars 2023, un enseignant sur cinq (21 %) a, dans sa carrière, été confronté à une menace ou agression liée à des tensions de nature religieuse ou identitaire.

 

Avril 2023, le ministre de l'Education nationale, Pap Ndiaye, décide de redéfinir la composition et les missions du Conseil des sages de la laïcité pour en élargir la sensibilité… Alain Policar y fait son entrée qui, dans un article intitulé "La critique de l’antiracisme devenue folle", d’abord publié sur le site AOC puis repris par celui de l’Institut de recherches du syndicat FSU, explique que la nouvelle génération "fait le constat que la politique d’indifférence à la couleur a échoué. Il faut désormais mettre en avant les identités dites raciales parce que la race a des effets discriminants sur les individus à qui on attribue une race non blanche ('les racisés')".

Juin 2023, à Nice, certains élèves d'écoles primaires se sont réunis pour prier, où tiennent à observer des minutes de silence en l'honneur du prophète pendant la récréation, ce que dénonce le maire de la ville, Christian Estrosi.

La période est au flottement, alors que le ministre de l’Education Pap Ndiaye, présenté à l’origine de sa nomination comme révolutionnaire, semble surtout avoir été inspiré par le courant différentialiste à la sauce américaine. Gabriel Attal qui lui succède, pour sa première conférence de presse fin août 2023, creuse la différence dans une sorte de volte-face, en déclarant que "l'abaya n'a pas sa place dans nos écoles". Elle sera ainsi interdite, considérée comme signe religieux tombant sous le coup de la loi du 15 mars 2004, qui en interdit le port. Il était temps ! Encore une fois, les vicissitudes du politique avec son « en même temps », auront fait auprès de ces jeunes qui ont tant besoin qu’on leur adresse un message républicain lumineux et solide, bien des dégâts.

Le lundi 22 mai, le plat principal annoncé à la cantine du collège Emile Combes de Bordeaux, était un « sauté de bœuf » portant la mention « halal ». Ce qui a fait s’indigner certains parents d’élèves. Le département de la Gironde s’en est défendu, pour dire n’avoir aucunement voulu imposer à tous un menu halal, déplorant « une erreur de communication du logiciel Pronote », alors qu’un autre menu a été mis à la disposition des élèves, « des aiguillettes de poulet ». Une situation qui a surtout mis en évidence la distribution de menus halals dans certaines écoles, ceci, alors qu’il n’en existe aucune obligation. Que retenir ici des dires du ministre de l’Education nationale, selon lequel « L’école, c’est le lieu et le temple de la laïcité » ? Son sens est brouillé, celui d’une éducation à la citoyenneté, qui est censée rassembler autour de l’intérêt général, contrairement à la promotion de ce qui isole au regard de ce qui unit.

Le sport, sous la pression du communautarisme religieux

En juin, c’est un autre sujet qui s’impose dans l’actualité. Des hijabeuses, joueuses de foot voilées, entendent faire tomber l'article du règlement de la Fédération Française de Football qui interdit « tout port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale ». Il n'est pas un hasard que l'on attaque ici le sport le plus pratiqué et de loin. Elles ont porté l’affaire devant le conseil d’Etat, mais celui-ci n’ira pas dans leur sens. Rappelons au passage que le voile est un symbole de soumission religieuse à une conception inégalitaire des rapports entre les sexes, alors que l’égalité femmes/hommes est un principe protégé par la norme constitutionnelle (Préambule de la Constitution de la IV République, de 1946, repris par la Ve), dont on ne convoque que peu l’argument. En mars dernier, en plein ramadan, la polémique avait déjà été déclenchée par des joueurs entendant imposer des pauses pendant les matchs en raison de la rupture du jeûne, alors que la Fédération française de football (FFF) avait annoncé qu'il n'y en aurait pas. Cela étant, si lors du vote de la loi visant à « démocratiser le sport en France » (février 2022), on avait adopté l’amendement du Sénat qui visait à imposer la neutralité sur les terrains, nous aurions évité ces polémiques qui fragilisent encore notre contrat social, en laissant prise à l’influence des islamistes.

De la loi contre le séparatisme aux contradictions nourries par l’islam de France

Plus d’un an et demi après la promulgation de la loi contre le séparatisme, on retiendra le discours des Mureaux du président de la République, disant déclarer la guerre au repli communautaire, qui a fait sortir notre pays du déni, en passant de la dénonciation du terrorisme à sa racine, l’islamisme. Mais lorsque l’on met en avant le référé laïcité, introduit par la loi, confirmé par le Conseil d’Etat pour mettre fin à la situation du port du burkini dans des piscines à Grenoble, en s’attaquant à une décision municipale qui y était favorable, si c’est une avancée, elle n’est malheureusement que bien limitée. A Rennes par exemple, l’entrée de piscines à des femmes en burkini n’est en rien empêchée. Il n’y est pas autorisé en tant que tel, mais par le biais d’avoir intégré par décision municipale, une recommandation de l’agence nationale de sécurité sanitaire qui explique que la tenue portée « doit être conçue pour la baignade et exclusivement à l’usage de la baignade », le short a ainsi été autorisé dans les piscines de cette ville et par extension à d’autres tenues. On voit par où le bât blesse.

Mesure phare, selon la loi, les associations ou fondations, qui demandent une subvention publique, doivent s'engager à respecter le caractère laïque et les principes de la République (égalité femme-homme, dignité humaine, fraternité...) dans un "contrat d'engagement républicain". En fait, simplement, à ne pas faire de prosélytisme, et pourtant une large partie du secteur est contre, vent debout. C’est la laïcité « ouverte », du droit à la différence qui, bien souvent derrière prévaut, qu’il faudrait sans trembler combattre par un grand débat public. D’autant que l’animation et le travail social participent à la fabrication de notre lien social. 

Lors de la campagne présidentielle de 2022. Dans un éloge flatteur, le président installe la Grande Mosquée de Paris comme « le » lieu de l’islam républicain : « Vous prônez un islam ouvert aux autres religions, pleinement inscrit dans la République » Mais est-ce bien sûr ? Début octobre, la Grande Mosquée de Paris annonçait la création de l’Alliance des mosquées, associations et leaders musulmans en Europe, l’Ammale, avec parmi les signataires présents des leaders salafistes et des Frères musulmans. Ce qui a été confirmé en recevant ensuite la direction du mouvement Musulmans de France, ex-UOIF inspiré des Frères musulmans, à l’origine du lycée Averroès qui vient de perdre le contrat d’association qui le liait à l’Etat.

Mais l’essentiel est toujours dans les détails. Selon Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande mosquée, « aujourd'hui, malheureusement, la question du voile est devenue une question complètement hystérique en France ». Il ajoute : « Et je crois que lorsqu'une femme est croyante, elle doit tenir compte également de la société dans laquelle elle vit (…) Il y a un principe qui existe depuis quatorze siècles en islam, c'est la notion de nécessité, la notion de contrainte. C'est-à-dire que lorsqu'une femme ne peut pas, pour des raisons diverses et variées, porter un foulard, il faut qu'elle l'enlève. Ça ne veut pas dire qu'elle va perdre sa foi et qu'elle n'est plus musulmane ». Si ce propos paraît sage, en réalité, il encourage les musulmans à se conformer à une contrainte imposée par notre société en en appelant à une tradition religieuse. On est très loin de l’invitation à épouser le modèle républicain laïque.

Des sondages chocs qui appellent à une nouvelle prise de conscience

Selon une enquête choc de l’Ifop publiée début décembre, 78% des Français musulmans pensent que la laïcité telle qu'elle est appliquée aujourd'hui par les pouvoirs publics est discriminatoire envers eux. Les deux tiers d’entre eux (65%) se disent favorables au port de couvre-chefs à caractère religieux (ex : voile, kippa…) dans l'enceinte des collèges et lycées publics, contre seulement 18% sur l’ensemble des Français. L’introduction de menus à caractère confessionnel (ex : viande halal, viande casher…) à la cantine (à 83%), 75% souhaitent qu’on autorise désormais « le financement public des lieux de culte et des religieux des principales religions (ex : curés, popes, rabbins, imams…), et sont donc favorables à un retour au Concordat, contre 28 % sur l’ensemble des Français. 76% des musulmans pensent que c’est plutôt la religion qui a raison lorsque la religion et la science s’opposent sur la question de la création du monde, contre 19% en moyenne chez l’ensemble des Français.

Dominique bernard fnlp fr 3Cette année a aussi été marquée, après l’assassinat de Samuel Paty il y a deux ans par un islamiste, par un nouvel attentat effroyable contre un enseignant, Dominique Bernard, poignardé à mort le 13 octobre dernier. Selon la même enquête de l’Ifop, la condamnation du terroriste chez les Français musulmans s’avère moins forte que chez l’ensemble des Français : 16% des musulmans interrogés (contre 5% en moyenne chez l’ensemble des Français) n’expriment pas une condamnation totale de l’assassin, soit parce qu’ils ne le condamnent pas (5%, contre 2%), soit parce qu’ils le condamnent mais admettent partager certaines de ses motivations (11%, contre 3%).  Le pogrom du 7 octobre commis par le Hamas en Israël est aussi révélateur des difficultés qui couvent.

Selon un nouveau sondage Ifop, sur le regard que portent les Français musulmans sur le conflit Israélo-palestinien, 19 % expriment de la sympathie pour le mouvement islamiste du Hamas, contre 3 % en moyenne du côté des Français.

Les autres Français musulmans le condamnant à 25%, ou y sont indifférents, 56%. Leur proportion est significative chez les jeunes musulmans, 24 % auprès des 15-24 ans, et les plus religieux, 28 %.

On voit se clarifier les enjeux. On assiste, d'une part, à un rapprochement d’une partie des Français musulmans des islamistes à travers la cause palestinienne, et d’autre part, une autre partie plus importante, indifférente, qui reste en suspens, en laissant le doute sur le côté où cela pourrait bien basculer. D’où la nécessité absolue de bien distinguer islam et islamisme. On ne doit pas laisser nos concitoyens de confession musulmane dans la confusion ici, en dénonçant sans ambiguïté tout ce qui peut contribuer à l’entretenir. Plutôt que de chercher des solutions du côté d’on ne sait quel islam de France en échec, de « réparer » le lien avec l’Eglise ou d’allumer une bougie à l’Elysée pour hanouka, le président de la République devrait jouer l’atout maitre de la cohérence, du discours et des actes, garantissant d’être bien entendu, non seulement des représentants de l’islam et de nos concitoyens musulmans, mais de l’ensemble de la nation. Condition d’en mobiliser les forces. Il n’est pas certain que ce constat soit immédiatement suivi d’effet, mais les faits sont têtus et les indicateurs de plus en plus intransigeants à imposer de regarder la réalité en face.

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration.- Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages. 

Photo libre de droits : Stocklib ID:2-319987908 - Dominique Bernard : fnlp.fr
 

Article Sud-Ouest du 26 06 2021 (AG de Laïcité 40)

Article paru dans SUD-OUEST suite à l'Assemblée Générale de Laïcité 40 qui s'est tenue le 5 juin 2021 à Montfort-en-Chalosse

Un grand merci à Annie GUILLON de ce relais dans la presse locale.

Lire ci-joint l'article de SUD-OUEST

20210702 201503 so ag l4020210702-201503-so-ag-l40.pdf (883.5 Ko)

 

"Promouvoir le respect des principes... Pena Ruiz

Henri Peña-Ruiz

Publié dans Marianne le 19/01/2021 à 15:59

 

1 - Conforter les principes républicains

Parlons donc de ces principes, qui sont aussi des valeurs. Un principe, du latin princeps, est une règle première de la pensée ou de l'action. Il devient valeur, c'est-à-dire ce qui vaut, dès qu'on en reconnaît le bien-fondé et qu'on s'efforce de le défendre. Par exemple le principe de la liberté d'expression s'est imposé comme un marqueur essentiel du débat démocratique. Et il a de la valeur en ce qu'il permet à tous les points de vue de s’exprimer, donc de nourrir au mieux de l'intérêt général la prise de décision. Il intègre aussi une limite, qui est le respect des personnes comme telles, mais pas nécessairement de leurs croyances. Telle est bien la ligne de démarcation au sujet du racisme. Rejeter et caricaturer une croyance est permis. Mais rejeter la personne du croyant ne l'est pas. Il en va de même pour les athées et les agnostiques. Montesquieu, dans L'Esprit des lois, affirme que la force de la République ne lui vient que de la vertu civique des citoyens, ressort de leur volonté de la défendre. Il définit cette vertu par l'amour des lois et de l'égalité. C'est dans cet esprit que j'envisage le projet de loi en discussion pour fonder mes remarques.

Je me permets d'expliciter brièvement les principes et les valeurs que nous lègue notre histoire. En 1789, l'essence de la nation française change radicalement. Les particularismes coutumiers et religieux n'y font plus la loi. La France n’est plus la fille aînée de l'Église. L'Assemblée Constituante promeut un nouveau fondement: les droits de l'homme, bons pour les divers croyants et les humanistes athées ou agnostiques, consignés dans la belle déclaration du 26 août 1789. J'aime en citer d'abord le préambule qui en fait une référence critique pour juger les pouvoirs: "Les Représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée Nationale (...) ont résolu d'exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'Homme (...) afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés". Vient alors l'article premier, en droite ligne de l'humanisme du droit naturel (jus naturalis) : "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune". Et plus loin l'article dix fonde l'émancipation laïque: "Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi." À l’évidence ces droits ont été conquis à rebours des oppressions. Ils ont donc une portée universelle pour l'émancipation des opprimés.

Le triptyque républicain définit les principes de l'ordre public. Liberté et égalité valent boussoles au sens où ils sont à la fois des buts de la vie commune et des fondements de l'organisation des rapports entre les personnes. La diversité des convictions spirituelles est prise en compte dans un cadre commun unique. La fraternité, sentiment collectif, devra jouer un rôle de charnière entre la liberté et l’égalité, afin qu'émerge un monde commun à tous. Victor Hugo le souligne dans son commentaire où il insiste sur le rôle de la fraternité, "âme de la formule". Lisons-le : « La formule républicaine a su admirablement ce qu’elle disait et ce qu’elle faisait : la gradation de l’axiome social est irréprochable. Liberté-Égalité-Fraternité. Rien à ajouter, rien à retrancher. Ce sont les trois marches du perron suprême. La liberté, c’est le droit, l’égalité, c’est le fait, la fraternité, c’est le devoir. Tout l’homme est là. » Le Droit et la loi (1875). L'historien Gérard Noiriel parle du "creuset français" pour souligner l'importance d'un cadre juridique et politique capable de faire vivre ensemble des personnes de toutes origines. L'unité ne doit pas opprimer la diversité, mais la diversité ne doit pas briser l'unité. Tel est le défi qu'a su relever la République Française grâce à la laïcité. Les trois principes de notre devise permettent de définir la laïcité de façon simple et limpide. La laïcité est l'union de tout le peuple (en ancien: laos) par un cadre juridique construit sur trois principes indissociables : liberté de conscience, égalité de droits, universalité des buts de la puissance publique.

 

Pena ruiz2 - Pédagogie des principes : le rôle des élus et des journalistes

Avis aux élus et aux journalistes contre tout obscurantisme dans le langage employé. Un point parmi d'autres: un langage universaliste est nécessaire pour faire comprendre les principes. Ceux-ci fondent des règles qui s'appliquent à tous. Ils n'ont donc rien de stigmatisant. Voici des exemples de la nécessité de dire les choses avec rigueur. Il ne faut pas parler de la "loi sur le voile" à propos de la loi de 2004, mais de la loi sur les signes religieux, ni de "mamans voilées", mais de personnes encadrant les sorties scolaires etc. La rigueur dans les termes relève ici du principe de responsabilité: il  s'agit d'éviter toute stigmatisation du fait de formulations inexactes. Le point de vue universaliste, et le langage qui lui correspond, sont essentiels pour contrer tout différencialisme. Tant celui de l'idéologie du Rassemblement National, qui tend à opposer le "nous" catholique au "eux" musulman, que celui de la mouvance décoloniale, qui ose qualifier la laïcité de "racisme d'État" alors que la loi de 2004 interdit tous les signes religieux, et non pas un seul. Résumons. Trois boussoles permettent de prendre position sur les cas concrets : universalisme, égalité de droits, intérêt général.

 

3 - L'État n'a pas à s'occuper de théologie

L'État laïque ne peut se comporter comme un mécène des religions, même pour les contrôler. L'égalité de droits des divers croyants et des athées, mais aussi le financement prioritaire de services publics d'intérêt général, commun à tous, ne doivent pas être bafoués. Dans un état de droit républicain, c'est par la loi que l'on contrôle et non par la subvention. Payer l'orchestre pour dicter la musique n'est pas digne d'une république, qui prétendrait ainsi acheter l'obéissance à ses lois. La République n'a pas à se mêler de théologie mais simplement à faire appliquer des lois communes capables de dissuader les religieux de toute tentation de transgression de l'ordre public. C'est aux fidèles des différentes religions de veiller à ce que la pratique de leurs cultes respectifs s'inscrive dans les limites fixées par l'état de droit.

Rappelons que les religions qui ont sacralisé le patriarcat et les pratiques machistes qui en découlent ont dû ou doivent faire leur aggiornamiento pour s'en déprendre et renoncer à élever la loi religieuse au-dessus de la loi de l'État. Dans leur dimension émancipatrice, les principes laïques se heurtent frontalement aux préjugés sacralisés par les intégristes, mais mis à distance par la raison critique de nombreux fidèles. La puissance publique ne doit pas s'effacer, mais rester intransigeante sur l'unité de loi du pays. Le refus du multiculturalisme qui enferme dans la différence n'est pas liberticide. Il renforce la dimension émancipatrice des principes républicains. Que ceux-ci soient rejetés par les tenants de traditions rétrogrades et les religieux nostalgiques de leurs privilèges perdus n’a rien de surprenant.

Bref écartons la tentation néo-gallicane de s'immiscer dans la définition des doctrines théologiques et confions à la loi commune le soin de prévenir toute mise en cause de l'ordre public entendu comme codification des droits fondamentaux de l'être humain. L'État laïque ne doit pas se mêler de théologie, mais  définir a priori, par les lois communes, le cahier des charges que doit respecter toute conviction spirituelle dans la façon dont elle se manifeste dans la société. Fondée sur le respect des droits et un projet d'émancipation universaliste, cette exigence n'a rien de liberticide.

 

4 - Quelles réformes ?

- Il est bien d'interdire la polygamie et les certificats de virginité, comme d'ailleurs l'excision du clitoris. Il faut veiller à le faire non au nom d'une culture particulière qui rejetterait les pratiques d'une autre culture, mais au nom de droits humains universels, comme l'égalité des sexes et l'intégrité physique de la personne. Il est bien également d'assortir tout financement public d'une exigence de conformité aux lois de la République et de respect des règles qui en découlent.

- Il n'est pas acceptable de permettre aux associations cultuelles d'avoir des immeubles de rapport. Ce financement indirect viole la loi de 1905 qui assigne à ces associations le seul culte, et rien d'autre. C'est aux fidèles et à eux seuls de financer leur culte. On n'achète pas le civisme. On le suscite à la fois par l'instruction comme fondement du jugement autonome et par des exigences promues par des lois. Quand l'imam Bouziane, au cours d'un prêche dans  la mosquée de Lyon, recommande aux fidèles de battre les femmes adultères, il commet un délit d’incitation à la violence que la loi permet de réprimer comme il le mérite.

- Le souci de soustraire les enfants à l'emprise de l'intégrisme religieux est louable. Mais le fait de rendre obligatoire la scolarisation dans les établissements scolaires risque de se heurter au principe constitutionnel de la liberté d'enseignement. Il serait préférable de renforcer le caractère national des programmes et des examens afin qu'ils soient des normes incontournables, donc des obstacles efficaces aux inculcations de croyances en lieu et place d'une authentique instruction.

- Il faut abroger le concordat d'Alsace-Moselle, qui maintient des privilèges pour les religions avec l'argent des contribuables de toute la France. Les familles athées sont obligées de demander une dérogation pour dispenser leurs enfants du cours de religion. Et l'argent public consacré aux salaires des ecclésiastiques constitue un privilège anachronique, attentatoire au principe républicain d'égalité.

- La neutralité des personnes qui encadrent les sorties scolaires est une urgence. Pourquoi? Le Code de l'éducation précise que ces sorties ont une finalité pédagogique et éducative. Elles relèvent donc de la déontologie laïque. Pour en parler, il faut veiller là encore à son langage. Pas de "mamans voilées" ou de "papa à kipa". Le lien de parenté ne fait rien à l'affaire. parlons de collaborateurs du service public, remplissant une fonction d'encadrement. L'enfant devenu élève se voit offrir ainsi une deuxième vie, qui élargit son horizon. L’École publique accueille des êtres mineurs donc vulnérables, et se propose de les instruire pour en faire des citoyens libres, maîtres de leur jugement. Elle doit donc les protéger contre tout type de prosélytisme et aussi contre toute atmosphère conflictuelle qui pourrait surgir entre des manifestations de sens contraire. Le respect de leur liberté comme de la diversité des convictions de leurs familles exige donc la neutralité des personnels d’encadrement, qu’ils encadrent ou qu’ils enseignent. Une telle règle n’a rien de discriminatoire car elle s’appliquerait uniformément à des personnes qui prétendraient encadrer des voyages scolaires avec une kippa, un voile, une grande croix ou un tee-shirt mentionnant « ni Dieu ni maître ». La France est une terre d’accueil, ouverte à la diversité des traditions et des convictions. Avec la laïcité elle n’a pas voulu combattre la religion, mais promouvoir par la neutralité un égal respect de toutes les convictions. Elle fournit ainsi une double garantie : pour les enfants mineurs, dont la liberté de conscience est sauvegardée, et pour les familles qui confient leurs enfants à l’institution scolaire, en ayant l’assurance qu’ils ne subiront aucune manifestation prosélyte

Qu'on me permette ici une anecdote personnelle pour montrer que l'exigence de neutralité, dans des cas délimités et bien définis, n'a rien de raciste ni de hors-sol. Il y a trois ans, à Bagnolet (93), j'ai présenté un exposé sur le sens de la laïcité. J'y ai évoqué le sens de la déontologie laïque, qui fait obligation à tous les personnels d'encadrement des élèves de respecter la neutralité dans leur tenue vestimentaire non par brimade arbitraire, mais parce que c'est le seul moyen de ne pas blesser un élève attaché à une conviction spirituelle distincte de celle qui serait mise en avant par la personne qui encadre. Une mère de confession musulmane me demande alors quel inconvénient il y a à manifester sa religion par un voile. Voici ma réponse. "Accepteriez-vous que votre enfant, après avoir été élevé dans la religion musulmane, soit encadré par un homme qui porte une kippa, ou un tee-shirt stipulant "ni dieu ni maître" ? "Non! " La réponse est vive et je la comprends. Je fais alors observer à la mère de confession musulmane qu'elle vient de découvrir elle-même, par son refus, ce qu'on éviterait à tous les enfants-élèves par le respect de la neutralité vestimentaire, qui ne vise aucune conviction particulière. La personne a esquissé un sourire, puis m'a dit qu'elle comprenait et approuvait la règle laïque…N'inflige pas à autrui ce que tu ne voudrais pas subir.

- Il faut réactiver la République sociale, à rebours d'un néolibéralisme obsédé par la réduction de la dépense publique. Les services publics qui rendent accessibles à tous les biens de première nécessité rendent crédibles les principes républicains en leur donnant chair et vie. Je rejette toute culture de l'excuse mais chacun peut comprendre que la déshérence des services publics dans certaines banlieues affaiblit l'image de notre République. Jaurès le soulignait avec force en liant la République sociale et la République laïque. Autant dire que la politique néo libérale qui conjugue la destruction des services publics et le creusement abyssal des inégalités doit être abandonnée si l'on veut vraiment susciter le respect des principes républicains.

 

Séparatisme : L'UFAL soutient les auteurs d'amendements

Projet de loi « principes de la République » : sans amendements, ce serait un bilan négatif pour la laïcité !

Par L'UFAL - UNION DES FAMILLES LAÏQUES 20 janvier 2021

L’UFAL a salué la sortie officielle de 30 ans de déni de l’offensive islamiste contre la République : elle estime que le projet de loi doit être l’occasion de mettre en pratique les intentions annoncées. Malheureusement, cet objectif est encore loin d’être atteint par le projet de loi du Gouvernement. Il revient donc au Parlement de l’enrichir, notamment pour une meilleure application de la laïcité.

D’ores et déjà, dans un texte pourtant touffu, les débats en commission ont permis d’approfondir, voire d’améliorer, un certain nombre de dispositions.

Sans entrer dans tous leurs détails, nous rappelons les revendications fondamentales à caractère législatif que l’UFAL a formulées, le 9 novembre, devant Mme la ministre déléguée Marlène Schiappa :

- Application de la loi de 1905 à tous les territoires de la République : Alsace et Moselle, Guyane et autres collectivités d’Outre-mer qui en sont exemptées ;
- Obligation de neutralité religieuse et politique pour les bénévoles accompagnateurs de sorties scolaires ;
- Refus que les cultes soient autorisés à détenir et gérer un patrimoine lucratif sans rapport avec leur objet exclusivement cultuel (art. 28 du projet de loi).

L’UFAL se félicite que les prises de position des associations laïques sur ces trois points essentiels ne soient pas restées sans écho auprès des Parlementaires.

- Ainsi, plusieurs amendements, de toutes origines politiques, ont été déposés en faveur de l’application de la loi de 1905 à tous les territoires de la République, ou au moins de la suppression de l’obligation de financer l’Eglise catholique faite à la Guyane(1).

- Quant à l’extension de l’obligation de neutralité aux « collaborateurs occasionnels du service public » (art. 1er), proposée notamment par le député LREM François Cormier-Bouligeon, elle a fait l’objet d’un long débat en commission. Si la rapporteure L. Vichniewsky s’est déclarée à titre personnel plutôt favorable, le ministre Darmanin a fait feu de tout bois(2) pour s’y opposer. La division de la majorité est apparue, de même que celle d’autres groupes : néanmoins, les considérations « d’opportunité » –de lâcheté politique ?- l’ont emporté : l’amendement a été repoussé.

Le plus grave recul de la laïcité est constitué par les art. 28 et 32 du projet de loi, véritables cadeaux de l’Etat aux cultes. Il est heureux que des Parlementaires s’en soient saisis.

- L’art. 28 prétend modifier l’art. 19 de la loi de 1905, en y introduisant (alinéa 5) l’autorisation pour les associations cultuelles l’autorisation de « posséder et administrer tous immeubles acquis à titre gratuit (…) », donc déjà dispensés au départ de la fiscalité afférente. C’est une violation de l’esprit et de la lettre de la loi de 1905, qui dispose que les associations cultuelles ont pour « objet exclusif l’exercice du culte ». Elles pourraient ainsi conserver et gérer des immeubles purement lucratifs (logements, commerces, parkings, etc.), sans aucun rapport avec leur objet(3). De plus, ce patrimoine bénéficierait des avantages fiscaux réservés aux bâtiments cultuels, dont l’exemption de la taxe foncière ! C’est une « subvention fiscale » interdite par l’art. 2 de la loi de 1905.

Sur 11 amendements, 6, dont un « transcourant » politique, veulent supprimer l’alinéa 5. Rude bataille en vue, car les cléricaux se trouvent sur presque tous les bancs.

- L’art. 32 y ajoute l’exemption de toute préemption par les communes pour les biens appartenant aux associations cultuelles. L’avantage des cultes passerait donc avant l’intérêt public qui fonde la préemption ! Il s’agit en outre d’un « cavalier législatif » sans rapport avec l’objet de la loi.

L’ensemble des 18 amendements, de toutes tendances politiques, proposent la suppression pure et simple de l’art. 32 : il y va en effet d’un moyen d’action essentiel des maires dans l’intérêt général.

Ces deux dispositions doivent à tout prix être retirées. Si elles ne l’étaient pas, la loi de 2021 inscrirait dans le marbre un recul de la laïcité, par la remise en cause des art. 2 et 19 de la loi de 1905 (principe de séparation, et objet exclusif des associations cultuelles). L’UFAL apporte son soutien à tous les auteurs des amendements qui rejettent un tel abandon, de quelque couleur politique qu’ils soient. Elle appelle le Gouvernement à renoncer à s’y opposer !